L’avenir du traitement contre le VIH
Initié par des représentants des organisations de patients et organisé par la Clinique des maladies infectieuses de l’Hôpital universitaire de Zurich, un symposium dédié à l’avenir du traitement contre le VIH a eu lieu le 19 janvier dernier au Kraftwerk à Zurich.

Dominique Laurent Braun
est médecin-chef à la Clinique des maladies infectieuses et d’hygiène hospitalière de l’Hôpital universitaire de Zurich ainsi que privat-docent en infectiologie à l’Université de Zurich. Ses domaines de recherches sont le VIH, l’hépatite C et les infections
sexuellement transmissibles.
Dominique Braun | Avril 2023
Parmi les invités, il y avait des personnes vivant avec le VIH, des médecins, des personnes actives dans le domaine de la santé, des représentantes et représentants d’organismes de lutte contre le sida et d’autres parties prenantes, tous réunis pour évoquer de nouveaux traitements contre le VIH et les besoins des personnes vivant avec le virus. Petit bilan de la manifestation par Dominique Braun, co-organisateur du symposium.
Constat réjouissant, les recherches pour mettre au point de nouveaux médicaments contre le VIH se poursuivent sans relâche, même des décennies après la découverte du virus. La raison est simple : le médicament parfait sans effets indésirables à long terme n’existe pas encore et l’on a toujours besoin de nouvelles options médicamenteuses. S’agissant des nouveaux antirétroviraux, on recense plus de 15 substances se trouvant actuellement en phase d’essai clinique. On trouve parmi eux de nombreuses nouvelles classes de médicaments et de nouvelles formes d’administration. On citera pour exemple les implants, les injections sous-
cutanées ou intramusculaires, les micro-patchs, les anticorps monoclonaux et les molécules spéciales qui restent dans l’estomac après ingestion, y déploient leurs effets plusieurs semaines durant et se décomposent ensuite naturellement. Tout cela ressemble encore à de la musique d’avenir, et il est vrai que l’on ne sait pas, à l’heure actuelle, combien de ces nouvelles applications seront un jour autorisées sur le marché. Il convient de s’attarder sur les deux médicaments dont le développement est le plus avancé : lénacapavir et islatravir.
«S’agissant des nouveaux antirétroviraux, on recense plus de 15 substances se trouvant actuellement en phase d’essai clinique. On trouve parmi eux de nombreuses nouvelles classes de médicaments et de nouvelles formes d’administration.»
Le lénacapavir, nouvel inhibiteur de la capside
Voilà des années que les chercheurs et les personnes vivant avec le VIH suivent avec attention les résultats des études menées sur un nouveau médicament dénommé lénacapavir, qui fait partie de la nouvelle classe de médicaments contre le VIH appelés inhibiteurs de la capside. La capside est l’enveloppe naturelle qui entoure le matériel génétique du VIH et elle est impliquée à diverses étapes du cycle de réplication du VIH. Le lénacapavir bloque l’activité de la capside et présente donc simultanément plusieurs mécanismes d’action, ce qui est nouveau pour les médicaments contre le VIH. Le lénacapavir est destiné aux personnes lourdement traitées qui ont peu d’options thérapeutiques, voire n’en ont plus du tout. Il est administré oralement et complété par des injections à longue durée d’action. Un élément à retenir : contrairement aux traitements autorisés actuellement sur le marché consistant en une injection intramusculaire tous les deux mois, le lénacapavir est injecté dans le tissu adipeux sous-cutané, et ce à un intervalle de six mois. Voilà qui devrait permettre aux patients de l’administrer eux-mêmes.

Un grand potentiel
Le lénacapavir est très puissant : au bout d’un an, on a observé une charge virale indétectable chez plus de 80 pour cent des patientes et patients multirésistants lorsqu’il est combiné avec d’autres médicaments contre le VIH encore un tant soit peu efficaces. Le lénacapavir fait également l’objet de recherches sur des personnes n’ayant encore jamais été traitées. Le nombre de patients ayant une charge virale indétectable au bout d’un an de traitement est, là aussi, très élevé. De nombreuses études sont actuellement en cours portant sur le lénacapavir entrant dans différentes combinaisons et administré sous différentes formes. Parmi elles, une combinaison très prometteuse est celle de lénacapavir avec le puissant inhibiteur de l’intégrase bictégravir. Le lénacapavir a déjà été autorisé dans certains pays européens pour des personnes lourdement traitées. Mais cela risque de prendre encore quelques années jusqu’à ce qu’il soit disponible en Suisse.
Islatravir : une nouvelle molécule contre le VIH à l’avenir incertain
L’islatravir a engendré par le passé de véritables montagnes russes émotionnelles chez les chercheurs et les patients – mais nous y reviendrons. Comme le lénacapavir, l’islatravir fait partie d’une nouvelle classe de médicaments contre le VIH : il s’agit ici des inhibiteurs nucléosidiques de la translocation de la transcriptase inverse. L’islatravir bloque le cycle de réplication du virus à deux endroits et est très puissant. Une fois administré, il reste dans l’organisme jusqu’à 200 heures et se prête par conséquent à un traitement par injection à longue durée d’action. De plus, il garde son efficacité lorsque d’autres médicaments contre le VIH sont déjà devenus inefficaces à cause de mutations. Toutefois, le développement de l’islatravir a été presque arrêté par le passé à cause d’un effet indésirable surprenant, avant de connaître une renaissance après de nombreuses études.
Le poids sous contrôle
L’effet indésirable en question était une forte baisse des lymphocytes T chez un certain nombre de participants à l’étude qui prenaient l’islatravir sous forme orale une fois par semaine à un dosage élevé. Le fabricant a pu prouver dans le cadre de nouvelles études que cet effet indésirable n’apparaît pas en cas de prise orale quotidienne à un dosage bien plus faible et que l’efficacité reste néanmoins élevée. En outre, les études menées jusqu’ici n’ont pas révélé de prise de poids excessive chez les participantes et participants. Cela mérite d’être souligné étant donné qu’une prise de poids excessive sous traitement peut survenir avec les inhibiteurs de l’intégrase utilisés à des millions d’exemplaires dans le monde entier et qu’elle peut entraîner des complications comme de l’hypertension, des infarctus et du diabète. Une étude d’envergure mondiale a démarré récemment en Suisse sur la bithérapie islatravir/doravirine. Espérons que l’islatravir vienne élargir à l’avenir la palette des antirétroviraux avec une option prometteuse.

L’avenir a déjà commencé : cabotégravir et rilpivirine à longue durée d’action
Ce qui n’était que de la musique d’avenir pendant longtemps est désormais réalité en Suisse depuis une année : le traitement par injection de cabotégravir et rilpivirine à longue durée d’action. Les deux médicaments sont administrés simultanément dans les deux muscles fessiers tous les deux mois. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce traitement par injection n’est possible que pour les personnes déjà sous traitement antirétroviral, qui ont une charge virale indétectable et n’ont pas connu d’échec thérapeutique par le passé. Etant donné qu’une injection intramusculaire peut entraîner des complications si elle n’est pas faite dans les règles de l’art, elle doit être réalisée par un professionnel médical. Signalons à cet égard que le fabricant mène actuellement des études sur la possibilité d’administrer le médicament par voie sous-cutanée, ce qui permettrait aux patientes et patients de le faire eux-mêmes. En Allemagne, le cabotégravir/rilpivirine à longue durée d’action est déjà sur le marché depuis deux ans. Christoph Wyen, privat-docent venu d’Allemagne qui s’est exprimé dans le cadre du symposium, a donc pu évoquer cette option thérapeutique déjà avec un certain recul. Il a déclaré que le traitement en question était bien accueilli par ses patientes et patients et que, dans son cabinet, les craintes initiales notamment concernant la logistique ne s’étaient pas vérifiées.
Pas pareil pour tout le monde
En dépit des réactions en grande majorité positives des patients sous cabotégravir/rilpivirine, quelque 10 pour cent d’entre eux reviennent à l’ancien traitement par voie orale au bout d’un an parce qu’ils ne peuvent pas respecter les rendez-vous tous les deux mois pour l’administration des médicaments en cabinet ou qu’ils souffrent d’effets indésirables au point d’injection. En accord avec les données des études qui ont révélé une très grande efficacité de cabotégravir/rilpivirine chez les patients dûment sélectionnés, Wyen constate aussi une suppression de la charge virale chez la très grande majorité des patients sous cabotégravir/rilpivirine. Mais il évoque un cas resté inexpliqué d’échec virologique avec développement de résistances bien que le médicament ait été administré en bonne et due forme – un phénomène très rare dans l’ensemble, mais qui peut avoir de graves conséquences pour les personnes concernées.
Conclusion : la guérison du VIH pour objectif
S’agissant des nouveaux médicaments et des formes d’administration innovantes, l’avenir du traitement contre le VIH s’annonce lumineux – d’autant plus que les entreprises et le corps médical affichent toujours une grande volonté en matière de recherche. Il convient de remercier tous les patients et patientes disposés à participer à des études pour découvrir de nouveaux médicaments. Car seule la recherche permet de progresser. Il ne faut pas oublier que tous ensemble, nous visons un but ultime : guérir le VIH. Mais c’est là le sujet d’un futur symposium – qui trouvera sa place dans les Swiss Aids News.